Certaines écoles publiques françaises autorisent les élèves à corriger eux-mêmes leurs copies et à choisir l’ordre de leurs activités, ce qui contredit la logique de la notation classique et du programme imposé. Dans ces classes, le manuel unique disparaît au profit de supports créés collectivement et les leçons orales remplacent les cours magistraux.
Ce fonctionnement atypique s’appuie sur des principes pédagogiques établis depuis près d’un siècle. Il impose un rapport différent à la discipline, à l’évaluation et à la coopération, tout en restant compatible avec le cadre officiel de l’Éducation nationale.
Comprendre l’esprit de la pédagogie Freinet : une école différente, pourquoi ?
Célestin Freinet, instituteur rural au début du XXe siècle, n’a jamais mâché ses mots face aux systèmes éducatifs traditionnels : passivité, autoritarisme et déconnexion du vécu des enfants des milieux populaires. Sa méthode Freinet naît d’un refus net de la verticalité et de l’obéissance aveugle. Marqué par le souffle des luttes sociales et l’obsession de l’émancipation, il imagine une école populaire qui met l’élève en première ligne de l’apprentissage.
La pédagogie Freinet prend ses distances avec les leçons dictées, les exercices répétitifs et le formatage. L’enfant devient moteur, producteur de savoirs, artisan de ses propres outils. Place à l’expérimentation, à la coopération, au travail collectif, loin de la logique de compétition et de la peur du faux pas. Voilà ce qui peut dérouter dans une classe Freinet : l’ordre y pousse sur le terreau de l’initiative, la discipline s’enracine dans le respect et la prise de parole, le savoir se forge dans l’expérience concrète.
Les principes fondamentaux de la pédagogie Freinet ne consistent pas à simplement aménager le programme. Ils défendent l’expression libre, qu’il s’agisse d’écrire, de dessiner, de débattre, la coopération au quotidien et l’autonomie dans le choix et l’organisation du travail. Cette dynamique contraste avec la méthode Montessori, davantage calée sur le matériel auto-correctif et l’individualisation du parcours de chaque enfant.
| Freinet | Montessori |
|---|---|
| Coopération, expression, tâtonnement expérimental | Matériel auto-correctif, autonomie individuelle |
| Production collective, ancrage dans la vie sociale | Parcours individualisés, environnement préparé |
Inventée en France et d’abord pensée pour les enfants des classes populaires, la méthode Freinet a depuis inspiré bien au-delà. Elle questionne la mission même de l’école : former des citoyens capables de comprendre, d’agir ensemble, d’influer sur leur environnement.
Les grands principes qui fondent la méthode Freinet
Pilier après pilier, la pédagogie Freinet s’est construite à rebours des recettes toutes faites. L’enfant progresse par tâtonnement expérimental : il essaie, se trompe, recommence, affine sa compréhension. Ce va-et-vient entre action et réflexion nourrit la confiance et l’esprit critique.
Un socle de valeurs partagées
Les valeurs qui traversent la méthode Freinet se déclinent ainsi :
- Expression : chaque élève prend la parole, écrit, dessine, débat. L’expression individuelle irrigue et dynamise la vie du groupe.
- Autonomie : la classe s’organise pour que tous puissent gérer leur travail et leur emploi du temps. L’enseignant accompagne sans imposer, ce qui stimule la créativité et l’initiative.
- Coopération : ici, apprendre est affaire de collectif. Projets partagés, responsabilités tournantes, réussite commune : la solidarité s’invite au quotidien.
Ce n’est pas qu’une question de savoirs : apprendre, c’est aussi grandir ensemble, débattre, confronter ses idées, s’ouvrir à l’autre. Les fondamentaux Freinet cultivent la sociabilité autant que les connaissances. La classe devient un atelier vivant où l’on s’exerce à l’autonomie, à la coopération et à l’expression sous toutes ses formes.
Comment la pédagogie Freinet se traduit concrètement en classe ?
Le quotidien d’une classe Freinet ne ressemble guère à celui d’une école classique. Loin d’un emploi du temps figé, la journée commence souvent par le texte libre : un moment d’expression où chaque enfant raconte, imagine, partage ses mots. Individuels ou collectifs, ces écrits circulent, sont lus à haute voix, discutés, relus avec le groupe. La correspondance scolaire prolonge cet élan : lettres échangées avec d’autres écoles, curiosité attisée, ouverture sur d’autres horizons.
Le fonctionnement de la classe repose sur le travail en équipe. Les élèves se regroupent, s’entraident, élaborent des projets concrets. L’enseignant n’est plus chef d’orchestre, mais guide attentif, prêt à soutenir sans brider. À intervalles réguliers, place aux conseils de coopérative : un espace où chacun peut proposer, discuter, décider au nom du collectif. Ces moments aiguisent le sens des responsabilités et forgent des compétences sociales précieuses.
Les techniques Freinet ne se limitent pas à l’écrit. Grâce à l’imprimerie à l’école, élèves et enseignants créent leur propre journal scolaire. Les sorties, les expériences, les découvertes menées lors des classes-promenades alimentent les apprentissages. Ici, c’est l’apprentissage par l’expérience qui prime : manipuler, tester, observer, voilà le pain quotidien.
Dans cet environnement dynamique, l’élève façonne son savoir en agissant, au contact direct de la vie de la classe et du monde extérieur. Cette pédagogie, cousine de la méthode Montessori mais fidèle à ses propres fondements, donne la priorité au collectif, au concret et à l’expression, tel que le voulait l’école populaire.
Ressources et pistes pour approfondir ou se lancer
Pour explorer la pédagogie Freinet au-delà des grands principes, plusieurs ressources concrètes ouvrent la voie. L’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM) occupe une place centrale dans le mouvement en France. Sur son site, on trouve des dossiers, des témoignages et des outils pour accompagner enseignants et équipes éducatives vers une éducation alternative.
La Fédération internationale des mouvements d’école moderne, quant à elle, recense les initiatives et recherches menées partout dans le monde. Pour ceux qui veulent plonger dans des pratiques vivantes, les stages d’été ou les journées de Vence permettent de tester des ateliers, de rencontrer des praticiens, de partager réussites et difficultés rencontrées sur le terrain.
Les archives du mouvement, avec L’éducateur prolétarien, éclairent l’histoire et les évolutions de la démarche. Pour découvrir la richesse de l’imprimerie à l’école, il existe des guides pratiques ; la correspondance scolaire et le journal scolaire continuent d’alimenter l’inspiration des classes qui misent sur la coopération.
Voici quelques ressources et pistes concrètes pour aller plus loin :
- ICEM : ressources, publications, formations
- Stages d’été, rencontres internationales
- Réseaux d’écoles Freinet en France et à l’étranger
- Archives et revues pour aller plus loin dans l’histoire et la réflexion
La méthode Freinet attire tous ceux qui veulent inventer d’autres voies pour l’éducation et faire évoluer les pratiques. Dans ces réseaux, chacun puise des idées, des outils, des repères pour réinventer son métier et redonner à l’enfant la place d’acteur de son apprentissage. Reste à imaginer ce que donnerait une école où la liberté d’exprimer, de créer, de s’entraider ne serait plus un pari, mais la règle du jeu.
